Présentation de l’école 42
L’école, son fonctionnement et son environnement
Attention : Cet article a été rédigé en mars 2019. Notre point de vue sur 42 a considérablement évolué au fil de notre scolarité. Considérez donc le contenu de cet article comme obsolète.
L’association 42l a été fondée au sein d’une école d’informatique connue sous le nom de l’école 42.
Juridiquement déclarée au nom de l’Association 42, elle fut fondée par le franco-milliardaire Xavier Niel en 2013.
En connaissance des tensions d’origine politique ou éthique avec la plupart de nos amis libristes, il convient de faire entendre notre avis personnel sur cette école en tant qu’étudiants libristes en son sein.
🔗Une école qui se veut “disruptive”
L’une des premières idées qui peut vous venir à l’esprit en entendant le nom de l’école reflète sans aucun doute l’image de son fondateur, Xavier Niel, PDG de la société Free qui a récemment lancé sa nouvelle Freebox qui inclut l’intrusif assistant vocal Amazon Alexa, un désastre pour la vie privée de son utilisateur.
On peut aussi rapidement avoir en tête cette photo de l’école avec les rangées de Mac, support incontournable de tout étudiant, qui évoque un certain élitisme que l’on peut aussi ressentir pendant la Piscine, examen d’entrée difficile et mémorable pour quiconque.
On en entend aussi parler comme l’école de la “Startup Nation”, celle du pays de l’innovation et de la disruption, celle dont les entreprises s’arrachent les étudiants. Ces derniers relayent d’ailleurs une à trois offres d’emploi par jour en interne (souvent du web, n’abusons pas non plus) proposant des salaires parfois alléchants dans de petites startups françaises ou des multinationales au gros chiffre d’affaires.
Mais surtout, elle révolutionne complètement les méthodes d’apprentissage classiques. Se positionnant comme un cursus scolaire alternatif, elle s’expose aux inévitables critiques des enseignants et des partisans de l’Éducation Nationale.
N’oublions finalement pas que cette école privée est entièrement gratuite pour les étudiants et qu’il n’y a pas de “coût caché”, si l’on omet évidemment le prix d’un loyer à Paris, que l’on peut malgré tout mitiger en étant éligible à la bourse étudiante Grande École du Numérique qui, gérée par le CROUS, propose les mêmes échelons d’attribution.
Face à tous ces faits, il est toutefois plus que naturel de se poser des questions sur le rôle de l’école auprès des étudiants.
🔗Une méthode d’enseignement en pair-à-pair
Mettons tout d’abord en lumière le cursus proposé par l’école 42.
Il s’étend sur une durée de trois ans, mais une majorité d’étudiants partent dès la première année en CDI à la fin de leur premier stage.
Sans compter cette majorité, nous devons théoriquement suivre le modèle suivant :
- Une première année au sein de l’école, puis un premier stage de 3 à 6 mois.
- Une deuxième année avec un second stage facultatif à temps partiel.
- Une dernière année avec un stage final d’une durée de 6 mois.
Aussi remarquable que cela puisse paraître, il n’y a pas de professeur dans l’école. Les membres du staff, salariés de l’association 42 (et souvent, anciens élèves), nous encadrent en s’assurant de nos bonnes conditions de travail, s’occupent de la paperasse administrative de l’association, de l’infrastructure informatique, etc.
Nous sommes donc livrés à nous-mêmes à devoir compléter un arbre qui ressemble plus ou moins à ceci :
Chaque cercle sur cet arbre représente un projet. Le but est de compléter le plus de projets possible en suivant les branches. Chaque branche couvre un thème assez large (graphique, algorithme/IA, adminsys, UNIX, kernel, virus, etc.).
Puisque nous sommes libres de choisir les projets qui nous intéressent, chaque personne a un cursus différent. L’école dispose de plus de 140 projets et le nombre ne cesse d’augmenter au fil du temps.
Enfin, le plus important : une grande partie des projets sont conçus par les élèves eux-mêmes. Tout élève qui se sent suffisamment à l’aise dans son domaine peut proposer un sujet à l’équipe pédagogique (membres du staff) qui peut ainsi le valider et l’ajouter à la liste des projets. C’est ainsi qu’un étudiant a conçu la branche Kernel qui vous apprend à créer votre propre noyau. Pas un Linux From Scratch, mais vraiment votre propre création, de zéro.
Par exemple, en branche système, nous avons des projets qui consistent, à réécrire le programme ls
, ou une shell complète. L’inspiration est loin de manquer.
Le principe est alors très simple : vous avez un sujet vous obligeant à respecter certaines consignes (le programme doit fonctionner, il doit supporter tel ou tel paramètre, etc.). Vous avez tout le temps que vous voulez pour le faire, parfois à plusieurs selon le projet.
Une fois votre projet terminé, d’autres élèves viennent vous évaluer en suivant un barème d’évaluation. Une fois votre projet évalué par un certain nombre de personnes, il est considéré comme validé et vous fait gagner des points d’expérience qui vous permettent de monter en niveau et de profiter ainsi de nouvelles subtilités.
Et naturellement, en échange d’une évaluation, vous devez évaluer un autre élève. Vous pouvez potentiellement tomber sur un projet que vous n’avez pas encore réalisé et ainsi bénéficier des connaissances que votre évalué vous partagera, tout en respectant le barème d’évaluation afin que cette dernière lui soit utile. À l’inverse, vous pouvez tomber sur un projet que vous avez déjà réalisé et procéder à une évaluation plus pointilleuse de son travail, en échangeant sur les différentes approches et bonnes pratiques que vous avez employées pour faire face à la problématique du sujet.
Par ailleurs, il va sans dire que certains projets sont vraiment difficiles et travailler seul dans son coin devient vite impossible. C’est ainsi que l’école nous incite à demander de l’aide à nos voisins pour progresser, ce que la Piscine (examens d’entrée) nous inculque très vite.
Ce n’est que la version courte du programme et nous omettons tout un tas de subtilités, mais vous pouvez d’ores et déjà vous faire une idée du principe : le pair-à-pair (ou peer-learning comme ils l’appellent) change drastiquement des méthodes d’apprentissage classiques et fonctionne terriblement bien. Par le design même du système, les notions d’entraide et de mise en commun des connaissances de chacun sont acquises naturellement par ses acteurs.
Neil: En BTS Services Informatiques aux Organisations (2018), je me sentais enfermé dans un programme qui ne convenait à personne : le professeur, imbu de sa science qu’il enseigne depuis 20 ans, nous enseignait du Vanilla JavaScript tel qu’il était écrit pendant les années 2000. Le référentiel même de l’Éducation Nationale était déjà obsolète depuis très longtemps et même nos enseignants avaient perdu cette curiosité d’esprit qui les avaient attirés vers ce métier. Même les élèves n’étaient là que pour avoir leur diplôme et s’intégrer dans le marché du travail, pas par passion ou quelconque intérêt pour la matière. À 42, on écrit beaucoup en C mais le cursus est construit par les élèves eux-mêmes, tous emplis d’excitation et de curiosité insatiables envers les nouvelles technologies ; cela me donne l’impression qu’il ne sera jamais obsolète.
🔗Une liberté d’apprentissage
L’école étant ouverte 24/7 et puisque nous n’avons pas de professeurs, le staff de l’école 42 (pour ne pas donner de nom, Nicolas Sadirac, l’ex-directeur général) nous recommande une assiduité de 50 heures par semaine. C’est beaucoup, non ? Rassurez-vous, cette recommandation n’est pas respectée par tout le monde.
En réalité, mis à part les élèves boursiers qui se doivent de respecter leurs 35 heures par semaine pour que le CROUS accepte de subvenir à leurs besoins, personne n’a d’obligation de venir à l’école.
Nous n’avons personne à prévenir si on est fatigués, malades ou juste peu motivés, on ne vient pas et on n’embête personne. Par ailleurs, nous n’avons pas de vacances scolaires. Chacun part en vacances quand il veut ; encore une fois, aucune restriction à ce niveau.
Il y a bien, cela dit, quelques deadlines à respecter pour ne pas se faire considérer comme un touriste (atteindre le niveau 5 avant une certaine date), mais les limites sont tellement larges que n’importe qui pourrait réussir, même en travaillant à rythme très lent ; cela demande juste un peu d’organisation et d’autonomie.
🔗Les profils des étudiants
Il se doit de remarquer que beaucoup d’élèves à l’école 42 ont un profil assez atypique ; cela s’explique par l’internationalisation de l’école (on peut croiser des étudiants de toute nationalité) mais aussi par le fait que l’école 42 est souvent un choix pour tous les étudiants rencontrant des difficultés dans le cursus scolaire classique. L’école est donc souvent là pour rattraper les élèves s’étant aperçus que la fac, la prépa ou le BTS n’étaient pas pour eux.
Mais on rencontre aussi des élèves ayant des difficultés à s’intégrer socialement, des têtes comme l’on en voit rarement… Cette diversité est sans aucun doute très favorable à l’apprentissage.
Bien évidemment, on y retrouve quelques groupes de libristes et inévitablement, des amoureux des GAFAM qui comptent sur 42 pour les propulser dans le monde du travail et devenir un Ingénieur Google Certifié.
🔗42 : l’école des femmes ?
Les difficultés d’intégration de la gente féminine dans le monde de l’informatique ne datent pas d’hier et ce, pour plusieurs raisons incluant souvent des hostilités de la part de l’écrasante majorité masculine dans cet environnement.
Hélas, l’école 42 n’a aucunement échappé à diverses formes de sexisme en son sein ; il s’agit d’ailleurs peut-être de sa facette la plus médiatisée.
Nous pouvons cependant nous réjouir de notre ratio de 15 % de femmes en 2018, un chiffre assez haut en comparaison avec les autres écoles d’informatique (4,6 % pour Epitech, 9 % pour Epita et 15 % pour l’ESIEA en 2015-2016, source).
Depuis Octobre 2018, l’école 42 porte à sa tête non pas un mais une nouvelle directrice, Sophie Viger. Placer une femme à la tête d’une école d’informatique est un message fort pour toutes et tous, d’autant plus que Sophie Viger est très motivée à faire changer les choses. De nombreuses démarches ont été mises en place pour essayer d’atteindre la parité dans l’établissement : l’une des plus notables est la réservation de 50 % des places de check-in (étape obligatoire lors de l’inscription consistant à venir visiter l’école) pour les femmes, d’établir des campagnes promotionelles auprès des femmes à Pôle Emploi ou encore, tout récemment, de privatiser certaines toilettes pour les femmes. Ces démarches commencent à porter leurs fruits : la dernière Piscine (Février 2019) comportait 26 % de femmes.
Bien sûr, auprès des étudiants, les rumeurs fusent : critères de sélection biaisés par le genre, hypothétiques Piscines (épreuve de sélection d’entrée) composées à 100% de femmes, etc. Toujours dans l’optique de combattre les clichés, l’équipe pédagogique n’est pas composée que de grands barbus mais également d’une bonne partie de femmes. Il existe également deux associations luttant contre les inégalités de genres à 42 : #include (anciennement [Code_Her]) et la toute récente 42 Ambassadrices.
Brume: Personnellement, je ne me suis jamais faite embêter à l’école. En tant qu’étudiante, je n’ai jamais eu de problèmes à ce sujet, ou même le moindre sentiment d’insécurité ; le staff contribue aussi à cela en restant à l’écoute au moindre problème. C’est peut-être un peu différent pendant les Piscines. Il y a beaucoup de gens qui jugent sur sur la légitimité de l’entrée des filles dans l’école : il est extrêmement fréquent d’entendre “Mais de toute façon, toi, tu es une fille, donc tu seras forcément prise”. Bien qu’imaginer que les filles ont potentiellement plus de chances d’être prises puisse être positif pour leur confiance en elles, je doute du fait que cela soit une bonne chose : une fille qui rentre à l’école devrait être reconnue à sa juste valeur, pour le travail et les efforts qu’elle a fournis en Piscine qui sont, je pense, souvent ignorés “car de toute façon, elle allait forcément être prise”.
Lors d’une interview, Sophie Viger présente aussi l’éventualité de séances de coaching pré-Piscine en faveur de la gente féminine.
Nous attendrons impatiemment de pouvoir constater en détail l’impact des actions de notre nouvelle directrice.
🔗Et la CNIL dans tout ça ?
L’association 42 a été épinglée par la CNIL en Novembre 2018 pour des raisons dont la plupart étaient totalement justifiées ; inutile de dire que ça a fait le régal des médias.
En effet, un total de 60 caméras avaient été installées dans l’école lors de sa création, notamment dans les lieux de travail. Il n’y avait pas un lieu sans caméras dans l’école, hormis les toilettes (et encore, il y avait une caméra devant !) : une démarche assez inquiétante en perspective qui se justifiait par la “sécurité” des lieux.
En “contrepartie”, la surveillance était “transparente” : les caméras étaient accessibles en local via une adresse web. Tous les élèves y avaient accès (il s’agissait d’une mesure intentionnelle) et tout le monde pouvait voir ce qui se passait dans l’école. Certains avaient même conçu des scripts pour estimer l’occupation des machines à café en regardant la caméra. Je vous laisse imaginer les possibilités avec les caméras devant les toilettes et un module de reconnaissance faciale…
En résumé, les élèves ont très vite perdu la notion de “vidéosurveillance”. Pour eux, les caméras étaient devenues un gadget, un outil gracieusement mis à disposition par le staff pour les élèves pour s’amuser et éventuellement se protéger contre les vols. Le conditionnement (peut-être involontaire) des élèves tel qu’il a eu lieu peut soulever de nombreuses inquiétudes et des questions sur leur malléabilité.
Lors de la mise en demeure, le staff n’eut d’autre choix que de retirer les caméras des lieux de vie.
🔗Notre mission
Les conditions d’assiduité à l’école 42 rendent la conciliation de notre parcours scolaire avec notre cursus possible.
Il ne faut pas oublier que le staff de l’école 42 est très ouvert à toute initiative ou implication des élèves dans la vie étudiante : c’est grâce à leur flexibilité que plus d’une dizaine d’associations étudiantes ont pu naître au sein de l’école et organisent régulièrement leurs activités : conférences d’intervenants extérieurs, buffets, ateliers…
Parce que le code fait loi, nous estimons que l’école 42 constitue un environnement stratégique important pour la promotion du logiciel libre. Nous devons faire en sorte que les développeurs de demain aient conscience des enjeux éthiques de leurs actions.
Pour cela, nous devons aussi faire face au lobbyisme d’entrepreneurs influents ou des GAFAM qui organisent aussi régulièrement leurs conférences à l’école dans le cadre, notamment, de leurs recrutements. Il est indispensable que nous réunissions un maximum d’acteurs du logiciel libre au sein de l’école pour réussir nos campagnes de communication.
~ N&B
Photo de l’extérieur de l’école : Copyright Association 42
Photo des clusters de l’école : Copyright Association 42
Schéma du dénommé “Holy Graph” : CC-BY Association 42l
BD étudiants de 42 : CC-BY Association 42l (dessin de Brume)
Photo de Sophie Viger : Copyright presse Madame Figaro