La Légende de la Subvention FONJEP
Les larmes de l’administration française
À défaut de trouver un récit aussi épique qu’un héros arpentant les terres d’Hyrule, nous allons vous raconter l’histoire de la petite association que nous sommes dans son périple pour demander une subvention auprès de l’administration française (mais rassurez-vous, il y aura aussi des rebondissements).
Retrouvez ci-dessous le récit de nos aventures, narré par Neil.
🔗Pourquoi faire ?
Dans l’étude de notre nouveau modèle économique, nous nous étions intéressé·es aux diverses subventions attribuées aux associations, en particulier dans le champ de l’éducation populaire.
Après tout, si nous nous donnons comme vocation d’intervenir dans des établissements scolaires (et essentiellement dans des établissements publics), ça nous semble censé de nous faire financer par de l’argent public.
De plus, les agréments que nous pouvons obtenir dans ce domaine sont tout autant de gages de confiance pour convaincre les chef·fes d’établissement que nous sommes une association estampillée « gentille » par l’État, et que ça vaut la peine de nous financer une intervention dans leurs établissements (oui, ces agréments servent vraiment à cela).
🔗Notre plan
Nous avons identifié une piste en deux étapes :
- Demander l’agrément départemental JEP (Jeunesse Éducation Populaire), attribué aux associations qui exercent des activités d’éducation populaire.
- Une fois l’agrément JEP obtenu, demander la subvention FONJEP. Réservée aux associations agréées JEP, le FONJEP subventionne un poste salarié d’une association une association à hauteur de 7 100€* par an pendant trois ans.
* 7 100 €, c’est un peu moins que la moitié du coût d’un SMIC à temps partiel (70 %). Le coût total du poste s’élèverait à environ 16 000 € par an, soit 904 € nets pour la personne salariée par mois (qui a parlé de précarité et d’auto-exploitation ?!).
🔗La demande de l’agrément JEP
Nous entreprenons donc de préparer les prérequis pour demander l’agrément JEP. Il existe deux types d’agrément :
- l’agrément national, qui nécessite que l’association exerce des activités dans au moins quatre régions administratives différentes ;
- l’agrément départemental, qui serait délivré dans notre cas par le département de la Charente (puisque nous avons déménagé notre siège social à Angoulême.
Nous nous sommes naturellement tourné·es vers l’agrément départemental, puisque nous ne cochons pas toutes les cases pour l’autre.
🔗Prérequis
Pour bénéficier de cet agrément, nous devons respecter deux catégories de prérequis que vous pouvez retrouver sur cette page.
La première catégorie représente le tronc commun d’agrément, que toute association qui demande un agrément auprès de l’État doit respecter. En voici les critères :
- Répondre à un objet d’intérêt général ;
- Présenter un mode de fonctionnement démocratique ;
- Garantir la transparence financière de l’association ;
- Signer le contrat d’engagement républicain (même si l’on sait quelles dérives il entraîne).
Nous devons ensuite respecter les critères spécifiques de l’agrément JEP :
- Être une association déclarée depuis plus de trois ans ;
- Organiser des activités d’éducation populaire ou de jeunesse ;
- Garantir des principes démocratiques forts au sein de la structure : la liberté de conscience, le principe de non-discrimination ou encore la transparence de la gestion.
Pour procéder à la demande, nous devons envoyer un email à une personne désignée comme contact sur le site associations.gouv.fr contenant toutes les pièces jointes requises.
Le 13 mars, nous déposons notre dossier par email composé de 14 (quatorze !!) pièces jointes, toutes requises pour le traitement du dossier :
- Une lettre signée par notre présidente, Brume, motivant la demande ;
- L’avis de création et de modification de notre association au Journal Officiel, avec nos statuts et notre règlement intérieur ;
- La liste des membres qui composent les organes de direction de notre association (notre Bureau) ;
- Les derniers procès-verbaux de nos assemblées générales ;
- Nos rapports moraux et financiers 2021 et 2022 ;
- Notre budget prévisionnel ;
- Une attestation signée engageant notre structure à respecter le contrat d’engagement républicain.
Nous avons reçu une réponse le jour même, par la destinataire de notre email qui accuse réception de notre dossier et qui le transmet (en copie) à son responsable.
Et là, nous devons attendre quatre mois. Contrairement à la plupart des démarches administratives, en cas de non-réponse de l’administration publique dans ce délai, notre demande est considérée comme implicitement rejetée.
🔗Un premier appel
Le 30 mai, au bout de deux mois et demi d’attente sans réponse et d’angoisse, je craque et décide d’appeler le responsable en question pour lui demander « s’il a bien reçu notre dossier et s’il est bien complet ».
Petit résumé de notre conversation.
Sa réponse : « Ah oui en effet, j’ai bien reçu votre mail, mais, euh… ben, il est complètement passé à la trappe. Désolé, ça arrive. Mais de toute façon vu votre demande, on allait sans doute refuser si on l’avait vue, car vos documents sont signés avec une adresse à Paris, donc on aurait estimé que vous êtes à Paris et que vous n’avez aucune raison de demander un agrément en Charente ».
En effet, en mars, nous n’avions pas encore finalisé le déménagement de notre siège social à Angoulême, la demande de domiciliation ayant été officiellement validée le 29 avril 2023 (et chose amusante, le récépissé de déclaration du changement de siège social a été signé par… le responsable des agréments JEP lui-même, qui a visiblement plusieurs casquettes !).
Toutefois, nous ne soupçonnions pas que la mention d’une ville non-charentaise dans la signature de nos documents (où il est commun de signer « date, lieu et signature ») serait éliminatoire pour notre dossier. Mais fort heureusement pour nous, le responsable a tout simplement zappé notre email, nous n’avons donc pas essuyé de refus ! Bienvenue dans le monde merveilleux des administrations françaises.
Je lui demande donc s’il est possible d’examiner notre dossier en tenant compte que nous sommes bel et bien situé·es en Charente.
« Oui, pas de problème, alors vous allez quand même devoir renvoyer votre dossier en modifiant tous les lieux des signatures, faites-les resigner et actualisez la date. Par contre ne me l’envoyez pas à moi, je vais quitter le service dans les 24 heures, je vais vous donner une adresse mail… »
Nous prenons note de la nouvelle adresse mail à laquelle nous transmettons notre dossier le lendemain.
🔗Un deuxième appel au cas où
Bon, comme le responsable qui a traité notre dossier a manifestement quitté son poste et que notre dernier envoi s’est fait ignorer, on a jugé bon de rappeler une semaine après (et pas trois mois après) pour demander si notre dossier avait bien été reçu et s’il contenait toutes les pièces requises.
La réponse de la personne qui a pris mon appel : « Alors en fait la personne que vous avez appelée la semaine dernière a quitté son poste, et il n’a pas de remplaçant. Son poste est vacant au moins jusqu’à septembre, donc on ne peut plus traiter de demandes d’agrément JEP jusqu’à ce qu’il soit remplacé. Vous en avez besoin pour bientôt ? »
« AH. Ben, dans l’idéal, pour demander le FONJEP d’ici fin 2023 ou début 2024 ? »
« Dans ce cas-là, on peut faire une exception compte tenu de la situation, vous pouvez essayer de déposer une demande FONJEP même si vous n’avez pas l’agrément nécessaire. Les procahaines demandes FONJEP seront instruites en janvier 2024. Contactez mon collègue qui s’occupe des agréments FONJEP… »
Ascenseur émotionnel dans ma tête, ils aiment bien faire ça à l’administration, c’est sans doute pour donner un côté épique à notre périple. Nous notons le numéro de téléphone de son collègue pour l’appeler quelques jours plus tard, à une heure préconisée.
🔗Le FONJEP
La subvention FONJEP, désormais à portée de main dans cette situation tordue, est l’une des pistes privilégiées pour financer un poste salarié au sein de l’association. Même au SMIC à temps partiel, même avec un salaire à peine décent, même s’il faudra passer par tout un tas de déclarations fiscales… être payé, ça donne un peu plus envie que d’être bénévole à temps plein, non ?
Nous avons noté deux types de FONJEP, répertoriées sur le site de l’académie de Poitiers, auxquels nous pourrions rentrer dans les cases :
- le FONJEP JEP, celui qui requiert l’agrément JEP (mais que nous pourrions demander sans agrément à titre dérogatoire), qui dure trois ans et est renouvelable deux fois ;
- le FONJEP Jeunes, qui se focalise sur l’insertion des jeunes dans l’emploi, qui ne nécessite pas l’agrément JEP mais qui ne concerne que les jeunes futur·es salarié·es de 18 à 30 ans (ça tombe bien, c’est à peu près la tranche d’âge de tout le monde dans notre Comité de Contribution), qui dure trois ans mais n’est pas renouvelable.
C’est pratique : si on nous refuse l’un, on peut demander l’autre !
🔗L’appel du FONJEP
Connaissez-vous cette sensation grisante d’arriver enfin au boss final, après avoir obtenu tous les feux verts, les dérogations, les récepissés et autres laissez-passer A38, et avoir fait le tour de tous les PNJ du royaume ? C’était à peu près ce que je ressentais à ce moment là.
J’appelle, je me présente et je demande pour le FONJEP JEP.
« Ah oui, vous êtes La Contre-Voie, ma collègue m’a parlé de vous [je commence à connaître toutes les personnes qui bossent dans ce service, et visiblement c’est réciproque]. Alors, je vais devoir vous arrêter tout de suite, parce qu’on a vraiment beaucoup de demandes, donc on privilégie uniquement les demandes portant sur un temps plein pour ne pas créer des postes précaires − or, vous demandez un temps partiel. De plus, on demande à ce que l’association soit agréée JEP depuis au moins trois ans… alors que n’avez pas encore l’agrément. »
Je suis d’abord un peu décontenancé, ayant pris connaissance de la circulaire de 40 pages qui décrit ce dispositif et de toutes les pages d’aides sur le site du gouvernement et de l’académie de Poitiers, je n’ai jamais entendu parler de ce critère des « 3 ans après l’agrément », qui semble avoir été mis en place au sein de notre département à cause d’un trop grand nombre de demandes.
J’apprécie également l’argument sur la création de postes précaires − c’est vrai qu’un bénévolat à temps plein pendant 5 ans, c’est beaucoup plus stable et pérenne comme mode de vie. Bien mieux rémunéré…
Je joue alors notre joker, le FONJEP Jeunes, en justifiant qu’on respecte tous les critères pour ce FONJEP-là :
« Ah non mais le FONJEP Jeunes, c’était un one-shot, c’était dans le cadre du dispositif “1 jeune 1 solution”, ils n’ont fait ça qu’une année, c’est fini, on n’en donne plus. Les informations sur le site de l’académie ne sont pas à jour. »
En 20 secondes, cette personne vient de nous éjecter du plateau : retour à la case départ !
C’est ainsi que se termine notre long périple pour demander le FONJEP. Morale de l’histoire : n’attendez pas 2 mois avant d’appeler pour savoir si votre dossier a bien été reçu, et signez vos documents à l’adresse de votre siège social.
Nous allons poursuivre notre quête vers d’autres subventions, agréments, certifications et autres reconnaissances administratives, dans l’espoir de trouver un moyen de nous payer. Dans notre viseur pour l’instant : le FDVA pour janvier 2024, les aides de Nouvelle-Aquitaine ainsi qu’une prise de contact avec les SRANE (ex DANE) de la région. La suite dans le prochain épisode !
~ Neil