Le salariat associatif chez Framasoft
Entretien avec Pierre-Yves Gosset de Framasoft
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Entretien avec pyg de l’association Framasoft le 6 août 2023.
Pouvez-vous me présenter Framasoft ?
Framasoft est une association d’éducation populaire aux enjeux du numérique et des communs culturels fondée en 2004. Composée de 39 membres dont 11 salarié·es, elle compte près de 850 000 € de budget annuel en 2022.
Dans sa feuille de route triennale 2023-2025 intitulée « Collectivisons / Convivialisons Internet », Framasoft annonce réaliser plusieurs actions de grande envergure, dont un cloud pour les petits collectifs, la poursuite du développement du logiciel PeerTube et la montée en compétences des structures réalisant des accompagnements numériques.
Questions sur vous
Depuis quand avez-vous intégré votre structure, et sous quel statut ?
J’ai intégré Framasoft en fin 2004 en tant que bénévole, puis en tant que secrétaire en 2005. Je suis devenu le premier salarié de la structure en 2008.
Combien d’heures par semaine consacrez-vous à votre structure ?
Je travaille à plein temps pour Framasoft : 35 heures par semaine et je récupère mes heures supplémentaires.
Questions concernant les salarié·es
Depuis quand votre structure accueille-t-elle des salarié·es ? Combien en avez-vous maintenant ?
Depuis 2008, nous avons progressivement augmenté notre nombre de salarié·es jusqu’à 10. Finalement, le mois prochain (septembre 2023), nous atteindrons les 11 salarié·es.
Notre premier salarié date de 2008, le deuxième de 2012-2013 et le troisième de 2013-2014.
Quel est votre modèle économique ?
Nous fonctionnons presque entièrement grâce aux dons de particuliers.
Disposez-vous d’agréments particuliers ?
Nous avons demandé et obtenu l’agrément JEP (Jeunesse Éducation Populaire) en 2015, pour se mettre en accord sur l’objet social de Framasoft : promouvoir la culture libre en général et le logiciel libre en particulier* à travers des activités culturelles, parce que nous sommes une association d’éducation populaire.
Nous avons perdu cet agrément JEP car nous avons refusé de signer le Contrat d’Engagement Républicain (CER).
Cet agrément ne nous a pas servi dans l’optique d’intervenir dans des collèges ou lycées, parce que nous n’avons pas les compétences pour mener ce genre d’actions.
* Cet objet social a été modifié en 2019.
Quels types de contrat de travail encadrent l’activité salariée de votre structure (cadre, CDD, CDI, temps plein/partiel, prestation…) ?
Nos 10 salarié·es sont en CDI, avec seulement deux personnes en temps partiel (à 80%). Les autres sont à temps plein. Nous avons également deux statuts cadre parmi les 10 salarié·es.
Parmi nos 8 salarié·es à temps plein, nous avons 5 personnes qui bénéficient de la semaine de 4 jours.
Par ailleurs, il nous arrive régulièrement de faire appel à des prestataires tiers, comme David Revoy ou Léopoldine.
On accueille également des stagiaires (étudiant·es) quand on a le temps, même si on évite. Nos stagiaires sont là pour apprendre et n’ont aucune obligation de résultat.
Comme embaucher est toujours un risque financier, nous pratiquons régulièrement une embauche en contrat court (par exemple CDD d’un an) pour répondre à un accroissement d’activité. Et si ça se passe bien, on transforme en CDI.
Est-ce que vos choix sur ces types de contrat de travail ont évolué depuis l’embauche de votre premièr·e salarié·e ?
Oui, puisque nous avons commencé en contrats aidés.
Est-ce que cette forme de rémunération vous convient ?
Oui. Les augmentations sont discutées en toute transparence. On ne cherche pas une égalité de salaire, mais une équité de salaire.
On a globalement trois niveaux de salaire à Framasoft, liés à la charge mentale (c’est un moyen nous permettant de nous repérer, pas un objectif en soi). On estime que le niveau de charge mentale doit être rémunéré :
- il y a des postes d’exécutants (support, secrétariat / comptable) ;
- un deuxième niveau (chef de projet) : de 2 200 à 2 400 € nets ;
- et un troisième niveau (encadrement, astreinte ou +) 2 800 € nets.
Nos salaires sont a minima alignés sur l’inflation. Mais des augmentations de salaires complémentaires ou des primes exceptionnelles peuvent avoir lieu, selon des facteurs qui sont réévalués chaque année.
Et que se passe-t-il en cas de diminution d’un niveau de charge mentale ?
Pour l’instant, la logique est de maintenir le salaire du niveau supérieur. S’il doit y avoir une diminution de salaire, il doit y avoir rupture de contrat.
Quelle est la moyenne d’heures par semaine et par salarié ?
Nos salarié·es sont à 35 heures par semaine pour la plupart.
Quelle est la moyenne des salaires (net, brut) ?
La moyenne est à 2 400 € nets. On a consacré un budget pour revaloriser les bas salaires.
Questions sur la gestion administrative des salarié·es
Bénéficiez-vous de contrats aidés ou de contrats d’insertion (CUI, CAE) ?
Nous avions utilisé trois contrats aidés avant qu’ils ne soient réformés en « Parcours Emploi Compétences ». À l’époque, un·e salarié·e coûtait 400 à 500 euros par mois et l’État complétait jusqu’au SMIC. Sur des contrats d’un an, ça nous coûtait environ 5 000 euros par salarié·e.
Sans ce dispositif pour nous aider au début, on n’aurait pas commencé.
Aujourd’hui, l’usage des services civiques est encouragé pour remplacer ces dispositifs, mais on a décidé de ne pas s’engager dans cette voie, notamment parce qu’on ne signe pas le CER, mais aussi parce qu’on ne s’entend pas avec l’agence du service civique qui considère que les volontaires recrutés peuvent réaliser des tâches opérationnelles, ce qu’iels ne sont pas censé·es faire. La plupart des services civiques sont ainsi une forme d’emploi dissimulé.
Utilisez-vous le dispositif « chèque emploi associatif » (CEA) ?
Oui, depuis le début. On réfléchit à en partir. Ce qui nous bloque, c’est que si on délègue le traitement des salaires, on payera 20-30€ par mois par fiche de paie.
Avez-vous adhéré à une convention collective ?
Oui, nous avons adhéré à la convention ÉCLAT, souvent utilisée dans le milieu de l’éducation populaire.
Avez-vous une mutuelle ? Laquelle ? Combien vous coûte-t-elle ?
Oui, nous sommes chez AG2R, mais je n’ai pas de recommandations particulières. Cela nous coûte environ 20€ par mois et par salarié·e.
Quelle est la part de la mutuelle payée par l’association ?
L’employeur prend en charge 50 % de la mutuelle.
Votre association paye-t-elle une cotisation accidents de travail et maladies professionnelles ? Si oui, combien ?
Nous cotisons auprès d’une structure pour la médecine du travail (AST Grand Lyon), on paye quelques centaines (voire quelques milliers) d’euros par an pour les visites médicales.
Votre structure est-elle affiliée à une prévoyance santé ? Si oui, quelle structure et comment procéder ?
Non, mais avec le CEA, je sais qu’on peut être affilié à une caisse prévoyance santé, par exemple Malakoff Médéric : tu les contactes, ils te donnent un taux…
Êtes-vous en lien avec un service de prévention et de santé au travail ? À quel coût ?
Non, mais nous avons une psychologue ergonome du travail.
Y a-t-il des taux particuliers de cotisations sociales liées à votre secteur d’activité ?
Pas que je sache.
Votre association collecte-t-elle la TVA ? Sinon, bénéficie-t-elle d’exonérations particulières ?
Non, mais ça pourrait changer : on paye aujourd’hui 45 000 € d’infrastructure par an, on pourrait récupérer 20 % de ce montant.
Collecter la TVA n’est pas vraiment compatible avec notre modèle économique basé sur les dons. Avoir le statut d’intérêt général et une activité économique de prestation réclame quelques contorsions comptables.
Votre association paye-t-elle l’impôt sur les sociétés ?
Non, 0€, par contre on paye d’autres impôts. Mais on facture très très peu.
Votre association paye-t-elle la CFE (Cotisation Foncière des Entreprises), ou la CVAE (Cotisation sur Valeur Ajoutée des Entreprises) ?
Je crois que nous payons la CFE (elle se calcule sur le nombre de m²). On a un bureau de 20m².
Votre association dispose-t-elle d’un registre du personnel ?
Oui, c’est un bête tableau qui recense qui est là à tel moment. Ça nous a mis du temps.
Êtes-vous en lien avec des opérateurs de compétences (OPCO) ?
Oui, c’est obligatoire (on paye la taxe formation) : notre OPCO c’est Uniformation, qui paye globalement plutôt bien les formations qu’on cherche à faire.
On a un CSE à Framasoft (il faut avoir 6 ETP − équivalent temps plein − pour le mettre en place).
Si vous réalisez des formations ou interventions éducatives, avez-vous envisagé d’obtenir la certification Qualiopi ?
Oui, on a regardé, j’ai dit non (processus trop lourd). Ce qu’on pourrait faire pour réaliser des interventions avec la certification, c’est de s’associer avec une structure Qualiopi. Si l’on souhaite organiser une formation sur un logiciel par exemple, on ferait un partenariat avec une structure déjà certifiée.
Est-ce que vous disposez d’un DUERP (Document unique d’évaluation des risques professionnels) ?
Oui, depuis peu.
Combien de comptes faut-il créer au total, et sur quelles plateformes, pour une personne salariée ? Est-ce que j’ai oublié des dispositifs ?
Il y a le compte Urssaf pour le CEA, et le compte sur le service des impôts des entreprises.
Disposez-vous d’une assurance ?
Nous avons une assurance à la Maïf (assurance des tiers).
On paye également plusieurs milliers d’euros par an pour couvrir des risques spécifiques, notamment concernant la cybersécurité.
Est-ce que la gestion administrative salariée vous semble gérable avec des compétences en interne, sans expertise comptable ou administrative ? À partir de quelle échelle cela ne vous semble plus possible ?
Oui c’est tout à fait gérable au départ, le côté juridique n’est pas à creuser beaucoup.
Ce qui pose problème avec la croissance, ce sont plutôt les questions comptables (après nous on gère énormément de dons). On a une personne à temps plein sur la comptabilité et les tâches administratives : réserver les billets de train, enregistrer les dons… Je me suis occupé de l’administratif de Framasoft entre 2008 et 2015.
Avez-vous accueilli des salariés RQTH, et si oui, avez-vous pris des mesures particulières pour les accueillir ?
Pour l’instant l’occasion ne s’est pas présentée. L’aspect soin salarié·e est surtout pris en charge par la psychologue ergonome du travail.
Questions diverses
Avez-vous des locaux ? Si oui, sont-ils en location ou achetés, et pour quels montants ?
700€ par mois pour notre 20m². Il y a aussi un accès à des salles communes.
Avez-vous mis en place des affichages obligatoires dans vos locaux ?
Oui, le local est certifié ERP donc l’affichage est obligatoire. Après, sur nos 10 salarié·es, nous avons 7 personnes en télétravail.
Quels conseils donneriez-vous pour une association qui souhaite prendre une première personne salariée ? Des choses à ne pas faire ?
Le CEA est un bon dispositif. Il ne faut pas hésiter à demander des exemples de contrat de travail. Le site service-public.fr est plutôt bien fait pour donner ces bases légales.
Une première année de CDD, j’ai trouvé ça cool. Après il y a un surcoût (indemnités de 10%). Il y a zéro turn over à Framasoft depuis 2014, c’est-à-dire qu’aucun⋅e salarié⋅e en CDI n’a quitté la structure depuis 10 ans, ce qui est plutôt exceptionnel.
Quand tu embauches de nouveaux ou nouvelles salarié·es, ne prends pas les personnes les plus compétentes, mais celles qui s’adaptent le mieux à l’équipe. On aurait pu prendre un·e cador sur PeerTube, mais on préfère les personnes dont on connaît les valeurs.
Quels conseils donneriez-vous pour réussir une campagne de crowdfunding ?
Vous semble-t-il envisageable de prendre des stagiaires sans avoir de salarié·es ?
On aurait pu. Actuellement nous payons nos stagiaires à la gratification légale (car si on paye 1€ de plus il faut le déclarer à l’Urssaf).
Sentez-vous une certaine pression sur vos épaules en tant que salarié·e ?
Le cas de Framasoft n’est pas le plus typique. Personnellement je ne ressens pas de grande pression. Par contre j’ai une pression en tant que co-directeur, car il faut trouver des fonds pour les salaires.
D’autres choses à ajouter ?
Une question me semble pertinente à se poser lorsqu’on accueille des salarié·es en association : quels changements provoquent le salariat dans une structure initialement bénévole, et quelle est la relation entre les bénévoles et les salarié·es ?
Cela peut être difficile de concilier bénévoles et salarié·es dans une même structure, puisque les salarié·es passent en général plus de temps sur le projet associatif que les bénévoles, ce qui peut les amener à le diriger de fait.