Comment bien lancer une campagne de financement participatif ?
Entretien avec Pouhiou de l’association Framasoft
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Entretien avec Pouhiou de l’association Framasoft le 15 septembre 2023.
Préambule
En matière de campagnes de financement, Framasoft n’est pas à son coup d’essai : chaque année, l’association collecte plus de 500 000 € de dons de particuliers pour financer ses actions.
Ce modèle nous semble inspirant pour financer notre activité salariée à La Contre-Voie. Nous sommes donc venus à la rencontre de Pouhiou, salarié de Framasoft, pour qu’il nous présente comment s’organisent les campagnes de dons dans son association.
Pour nos questions, nous partons du contexte suivant :
- Une association souhaite organiser un financement participatif en portant une mission d’intérêt général ;
- Ce financement participatif pourrait (ou non) venir en complément d’autres ressources : subventions, prestations de services ou autres moyens d’autofinancement ;
- L’association souhaite prendre soin de son public, de ses bénéficiaires et si possible (tant qu’à faire) de sa propre gouvernance : donc, pas de dark marketing capitaliste ou d’autres procédés publicitaires qui consistent à manipuler l’audience ;
- Cette association a déjà défini en amont les objectifs de sa campagne, ses publics et les personnes en interne qui vont s’en occuper.
Enfin : le but de cette démarche est d’obtenir des retours d’expérience de l’association Framasoft dans le domaine du financement participatif, les questions seront donc plutôt projetées sur leur environnement, même si ça n’en fait pas une généralité.
Définition du financement participatif et fonds dédiés
Peux-tu nous expliquer la différence entre financement participatif, collecte et appel à dons ?
Une campagne de financement participatif (ou crowdfunding) se tient généralement sur les plateformes « formatées » (Kickstarter, Ulule…) qui proposent des outils de récolte très spécifiques. Ils impliquent :
- un objectif de financement ;
- une durée de financement très précise (de telle date à telle date) ;
- il y a souvent la règle « tout ou rien » : si l’objectif de financement n’est pas atteint, les contributeur·ices sont remboursé·es et le projet est annulé ;
- il y a généralement des contreparties (matérielles ou immatérielles) ;
- il peut y avoir également des paliers bonus : par exemple, si l’objectif de financement est à 50 000 €, il peut y avoir un palier à 100 000 €.
Un appel à dons peut être un simple message sur le site de l’association qui indique « vous pouvez faire un don ici » sans limite de temps. Par exemple, si je rédige un article sur un sujet en particulier, je peux mettre un encart à la fin de l’article qui rappelle que nous avons besoin de sous. L’appel à dons ne propose pas de contreparties.
Enfin, une collecte de dons présente les mêmes caractéristiques que l’appel à dons, mais peut porter la campagne sur un angle spécifique (par exemple, un projet à financer en particulier). En plus de l’outil d’appel à dons, il y a l’outil de communication : un temps de communication est prévu autour de ce besoin de recevoir des dons.
Souvent, il n’y a pas de contreparties, mais il peut y avoir des conséquences aux dons : par exemple, chez La Quadrature du Net, à une époque, il était possible d’acheter un « pi-xel » d’une fresque ou de dédicacer 10 décimales de Pi à chaque donateur·ice (le « pi-plôme »). Mais cette contrepartie n’a pas de valeur financière.
Ces trois modèles ont des avantages et des inconvénients, et leur usage dépend des besoins de la structure :
- Est-ce que j’ai juste besoin de dons ? Auquel cas, peut-être qu’un appel à dons pourrait convenir.
- Est-ce que j’ai besoin de communiquer, de transmettre ce que je fais, de prendre le temps de parler de nos avancements ? Auquel cas, peut-être qu’une collecte de dons fonctionnerait mieux.
Concernant le financement participatif : il y a aussi un enjeu de créer l’évènement, de donner l’occasion à notre public de faire un don, de créer une situation pour motiver à passer à l’action. Créer ces temps spécifiques, c’est aussi offrir aux gens l’occasion de s’arrêter et de regarder dans le rétroviseur, pour voir ce que l’association a accompli grâce aux financements des années passées.
Et vous à Framasoft, vous faites quoi ?
On fait un peu des trois. Parfois, sur notre site, tu vas pouvoir trouver des appels à dons (pas d’évènement particulier, pas d’objectif particulier, pas de thématique…) qui mènent vers soutenir.framasoft.org. Sur Framapad, le texte par défaut indique comment faire un don. Si tu reçois un sticker Framasoft, on y écrit « ce sticker a été financé par vos dons ».
On avait aussi lancé « Dorlotons Dégooglisons » pour financer les services Framasoft, sur trois semaines (vers mai-juin 2023), il y avait une jauge à remplir.
On expliquait à quoi correspondait chaque don reçu. Par exemple « si tu donnes 20 €, ça correspond au traitement de trois factures par la comptabilité, si tu donnes 50 € ça correspond à une heure d’administration système… ». Ça donnait l’air d’un crowdfunding, mais sans contrepartie. De cette manière, tu peux jouer avec les codes et les transgresser, mais il faut les connaître.
Le crowdfunding à Framasoft…
Historiquement ça nous est arrivé·es de réaliser de vraies campagnes de crowdfunding, on en avait fait une sur MyPads en 2012, sur PeerTube pour la v1 et la v2, et pour Mobilizon. Très rapidement, les contreparties sont devenues assez symboliques et aujourd’hui, on réalise plutôt des campagnes de collectes de dons qui ressemblent à du crowdfunding.
On réalise des campagnes de dons à chaque fin d’année, notre stratégie de base à Framasoft c’est « voici ce qu’on a fait cette année, voici ce qu’on fera l’année prochaine, voici la somme qu’il nous manque pour boucler le budget, si tout cela vous plaît, donnez ».
Dans votre cas, comment tu différencies campagne de dons et crowdfunding ?
Il y a deux éléments pour moi qui sont très spécifiques, le financement participatif s’utilise pour un objectif beaucoup plus resserré, moins général. Lorsqu’on reçoit des dons lors de la campagne de dons annuelle de Framasoft, ces dons financent l’ensemble des projets de Framasoft, et pas un projet spécifique (comme PeerTube).
Cela signifie qu’il n’y a pas de fonds dédiés, c’est ça ?
En effet. Par contre, si tu commences à dire : « ce don, il sera pour ce projet-là », alors tu es obligé·e de dédier comptablement les dons collectés à ce projet-là. Si tu veux l’utiliser pour d’autres projets, il faut noter quelque part que « ce don servira à financer l’ensemble des projets de l’association ».
Lorsque nous avons réalisé les crowdfundings spécifiques à PeerTube, il y a eu un fonds dédié PeerTube. Et ce fonds dédié a payé les salaires sur le développement de PeerTube, les illustrations de David Revoy spécifiques à PeerTube, etc.
Est-ce que réaliser des fonds dédiés permettrait de motiver à la contribution financière sur des projets spécifiques ?
Comptablement, les fonds dédiés c’est hyper pénible à gérer. D’autant plus dans la situation de Framasoft, dès que tu touches 154 000 € de dons annuels défiscalisables, tu as une obligation de validation des comptes par un commissaire aux comptes. Ça signifie que tu dois avoir trois niveaux de travail dans ta comptabilité :
- Tu vas avoir en interne des gens qui tiennent ta comptabilité (bénévoles ou salarié·es) ;
- Un cabinet d’expertise comptable qui va valider ta comptabilité chaque mois, et qui va travailler avec toi et faire l’interface avec le commissaire aux comptes ;
- Et le commissaire aux comptes, qui vérifie les intérêts des donateur·ices, qu’il n’y a pas de détournement d’argent, etc. Il est de bon conseil.
À partir du moment où il y a ce trio-là, les fonds dédiés deviennent une vraie complication, Il faut les éviter au maximum car ça ajoute une vraie complexité.
Pour répondre à la question « est-ce que ça motiverait le public à contribuer financièrement s’il s’agit de fonds dédiés »… Il faut faire confiance aux gens : ils ne te donnent pas pour ce que tu produis (sauf si tu leur vends quelque chose, mais ce n’est pas notre cas).
Si les gens donnent, c’est parce qu’ils veulent un monde où ce que tu fais existe. Quand toi tu donnes, ou aimerais donner à une structure, ta motivation première, est-ce que c’est qu’il y ait un livrable qui soit produit dont tu bénéficies, ou est-ce que c’est parce que tu as envie que ça existe, parce que tu penses que le monde est mieux quand cette structure fait ce qu’elle fait ? Il faut garder ça à l’esprit.
La planification et l’organisation de la campagne
Lorsque vous planifiez un financement participatif à Framasoft, j’imagine que vous commencez par définir un rétroplanning ? Est-ce que tu peux nous donner les grandes dates que vous planifiez au départ ?
Ok, je vais répondre sans parler des appels à dons au fil de l’eau (sans thématique précise) qui peuvent avoir lieu toute l’année.
Si tu veux un évènement, il faut qu’il soit cadré dans le temps. De telle date à telle date, clairement annoncées. Il faut créer un moment où « on va être ensemble », et où l’on va essayer d’atteindre un objectif.
Ensuite, lors du lancement de ton évènement, il faut que tu aies la majeure partie des nécessités (images, textes…) qui soient prêtes. Si tu dois produire les choses au moment où elles arrivent, tu vas te crâmer en plein vol.
En général, lorsqu’on planifie notre campagne de communication, on prépare une thématique ou une grosse information par semaine. Jusqu’à présent, on faisait des campagnes de 11 semaines. Cette année, on va plutôt faire des campagnes de 7 semaines, parce qu’on se rend compte que c’est beaucoup, c’est très fatiguant, usant à animer.
Là, deux ou trois mois avant le début de notre campagne, on sait avant de commencer quelles sont les sept thématiques, quels articles de blog on va publier, qui va écrire quel article de blog, quelles illustrations on va demander à David… Il faut calculer combien de temps il nous faut pour préparer les pages, les images, les articles, les outils web, penser à changer ton image de profil sur les médias sociaux, préparer des pouets en avance.
C’est ça, faire ce qu’on appelle faire un plan de communication. Tu peux trouver des méthodes en ligne. Avec ça, il faut planifier les canaux de communication, à quoi sert chaque canal, quel public il permet de viser et quel contenu produire pour quel public.
Typiquement, pour Framasoft : 7 semaines de communication, 7 articles de blog (touffus et détaillés). Celleux qui utilisent parfois Framadate ou Framaforms n’ont pas forcément envie de lire les gros articles de blog de dev PeerTube, par exemple. C’est normal. Mais ces articles-là vont parler à un public très spécifique qui est déjà hyper intéressé par ce qu’on fait.
Mais ces articles vont te permettre de réaliser des encarts extrêmement synthétiques pour les personnes qui veulent juste lire les grandes lignes, avec un bouton « En savoir plus » qui ramène vers ces articles détaillés.
Il y a donc une communication pour les personnes qui suivent de très près l’association, une autre pour celles qui souhaitent juste connaître les informations importantes, et plein de variantes entre les deux : des personnes qui vont être sensibles à une communication plus visuelle, comment on s’adresse à elles ? D’autres personnes plus intéressées par les mots, comment on s’adresse à elles ? S’adresse-t-on à un public plutôt francophone, ou finalement le web entier ?
Ça permet de définir ce qu’on aimerait dans l’idéal avoir comme élément de communication. Tu listes les actions à préparer, tu estimes le temps nécessaire pour les réaliser, tu rajoutes 20 à 50% du temps supplémentaire parce que la loi de Murphy existe et que tu vas avoir des retards, quoi qu’il arrive. Quand tu n’as pas l’habitude de planifier, tu peux prendre jusqu’à deux fois plus de temps supplémentaire.
De manière générale, quelle serait selon toi la durée idéale d’un financement participatif pour une asso ?
Pour nous 7 semaines c’est beaucoup (sept temps de communication, un par semaine), c’est court pour ce qu’on fait − parce qu’on fait plein de trucs.
Sur l’aspect crowdfunding, pour vendre mon roman par exemple, je dirai entre 20 et 45 jours − entre trois et six semaines, pour laisser le temps de suivre ce que tu fais, pour que les gens ne loupent pas l’occasion de donner que tu crées. 15 jours, c’est méga court… et plus de 45 jours, c’est long.
Autre chose : en France, la paye tombe en début de mois. Le fait d’être à cheval sur deux mois, ça permet de laisser le temps aux gens de donner.
Donc, selon toi, la durée du financement participatif dépend du nombre de projets et activités à présenter ?
C’est ça. Ça dépend vraiment de l’objectif du projet et de ce que tu as à communiquer à ton public. Si tu as un seul grand objectif (même détaillé), par exemple sortir un service (même un gros service), même si tu peux faire plusieurs articles dessus, tu ne vas pas y passer sept semaines.
Il faut aussi que les temps d’animation soient rythmés. Au début de la campagne, les gens qui attendaient l’occasion vont se précipiter, ta barre de dons va monter.
Ensuite, ça va vivoter, il pourrait ne rien se passer du tout, il faut créer des temps de communication et alimenter les réseaux sociaux.
Et enfin, un moment hyper essentiel, c’est vers la fin : la course pour faire monter la barre.
Plus tu auras de temps entre le début et la fin, plus il te faudra des activités pour relancer la campagne, sinon les gens passent rapidement à autre chose.
Attention : tu ne vas pas animer avec du vide, avec du remplissage… Ne meuble pas. On est dans le domaine associatif, tu es une personne intelligente qui s’adresse à des personnes intelligentes… qui reconnaissent le bullshit à 50 km.
Avez-vous essayé de compter le temps bénévole et salarié passé sur l’organisation de la campagne, et le nombre de personnes mobilisées ?
Non, c’est assez compliqué. Sur l’équipe de 11 salarié·es, il y en aura à peu près 5 qui seront mobilisé·es activement sur le sujet, mais pas à plein temps. Il y a une personne qui orchestre (mais qui ne fait pas tout, surtout pas !), c’est la personne référente, son rôle est important car tout le monde va avoir le nez dans le guidon.
Parmi les bénévoles : Framasoft a une politique où nous ne voulons aucune injonction aux bénévoles. Ce sont des personnes qui veulent bien. Donc ça veut dire qu’on ne les met pas en situation d’obligation ou de pression « si tu ne termines pas cette tâche avant telle date, Framasoft coule financièrement cette année ». Donc la campagne est principalement gérée par l’équipe salariée.
Par contre, dès que la campagne sera entièrement planifiée et déterminée, on lance les appels à contribution auprès des bénévoles. Cela dit, le travail bénévole sera uniquement du bonus. Si une personne bénévole s’engage sur une tâche, il faut prévoir qu’elle ne puisse pas la réaliser, car elle peut avoir d’autres priorités dans sa vie, elle n’est pas payée pour ça. Il faut prévoir que les personnes ne puissent pas faire.
Pour un projet géré par des bénévoles dans le cadre de la campagne de crowdfunding, on peut prévoir un temps de communication bonus et des outils de communication bonus. On réserve une place pour le projet s’il vient à aboutir juste à temps. Si à un moment donné, finalement ce n’est pas possible, ce n’est pas grave, on ne compte pas dessus.
Quelle période peut-elle financer, dans l’idéal ? (un an, trois ans…)
C’est pas exactement une question de période : on demande des financements tous les ans.
Avec Dorlotons Dégooglisons, on se donne la possibilité de demander des sous en milieu d’année en plus de la campagne de fin d’année.
On a une feuille de route triennale. Il y a une vision stratégique derrière : on donne un point A (là où nous sommes actuellement) et un point B (vers où nous souhaitons aller), et on explique comment on va s’y prendre, quelles actions nous allons mettre en place pour passer du point A au point B.
Nos prochaines campagnes de dons autour de cette feuille de route triennale, c’est : bilan année 1, bilan année 2, bilan année 3. Avec des focus spécifiques sur certaines thématiques, mais dans l’ensemble ça va être ça.
Pourquoi avons-nous séparé en deux temps la campagne de dons avec Dorlotons Dégooglisons : en fin novembre de l’année dernière, on s’est aperçus que les gens étaient super enthousiastes, on cible le bon public, ça leur parle, mais les dons ne suivent pas (guerre en Ukraine, énergie, inflation…).
Donc on s’est dit, en réunion de crise : on va essayer de diffuser l’appel un peu plus largement, mettre un petit encart sur nos services… Et les dons se sont concentrés les 15 derniers jours de décembre. Jamais l’exponentielle n’a jamais été aussi tendue à la fin de l’année. Même constat dans des assos qui sont dans la même situation que nous.
Le processus de cette année : si les dons se concentrent vers la fin de l’année, on se concentrera en fin d’année, mais comme ça fait coup de poker (ça arrive mais on ne sait pas trop si ça arrive bien), on s’est dit qu’on allait faire un temps en dehors de la fin de l’année, vers mi-année, pour jouer sur les deux tableaux.
On ajuste l’objectif de dons en fonction ce dont on a besoin, même si c’est extrêmement complexe dans le cas de Framasoft. Il y a l’objectif de la barre de dons, et la tonalité avec laquelle on demande des sous. C’est très différent si on demande « coucou, on a fait ça, on veut faire ça, si vous donnez ça nous aidera à le faire » et si tu dis « coucou, on a fait ça, on veut faire ça, mais si vous ne donnez pas, on va crever, il faut donner maintenant ». Et entre les deux, il y a toute une variété de tons.
Les contreparties et le rapport aux donateur·ices
Les contreparties : est-ce intéressant et équitable ?
Sachant qu’on distingue :
- Les contreparties physiques : à expédier par la Poste, demande du temps et de la main d’œuvre
- Les contreparties virtuelles : demandent moins de temps, sans doute moins attrayantes mais peuvent potentiellement être automatisées
C’est intéressant d’avoir quelque chose qui montre − qui symbolise − le fait que quand j’ai fait un don, il s’est passé un truc. Toute l’astuce, c’est de trouver comment on va faire ça, sans commencer à créer de l’exclusif, des paywalls : imagine le scandale que ça ferait si les gens donnaient 50€ pour voir une image de David qui ne serait pas visible pour celles et ceux qui n’ont pas donné.
Les idées comme /r/place sont très intéressantes, c’est hors des codes du capitalisme.
Après, il ne faut jamais oublier que les contreparties, c’est un monde où ce que tu vas faire est advenu. C’est à toi de voir si tu préfères des contreparties symboliques, ou par exemple d’afficher à quoi correspondrait ton don en type de travail au sein de l’association (comme dans Dorlotons Dégooglisons ou Mobilizon).
Concernant les contreparties physiques : c’est l’enfer sur terre. C’est un mi-temps pour 2-3 mois dédié à la production et l’envoi des contreparties, gérer les colis qui se perdent… C’est à limiter au maximum, ou à préserver à des choses très très basiques (carte postale…) qui ne pèsent pas dans l’enveloppe. Et les gens ne sont pas là pour acheter des goodies… Ou alors tu fais un crowdfunding pour vendre des goodies, c’est cool, mais ce n’est pas ce qu’on est en train de faire.
Aussi, quelque chose de super commun, notamment dans nos milieux : on se sous-sous-sous-vend (souvent). Une fois que tu enlèves le prix des contreparties, les tarifs bancaires, l’envoi, le temps passé dessus, le coût de fabrication des goodies… tu gagnes 0 euros, ou pire, tu vends à perte. Il ne faut pas oublier que l’objectif c’est de récolter des moyens pour que l’objet associatif soit accompli. Il ne faut pas hésiter à tarifier les contreparties très haut, car l’objectif c’est que les personnes fassent un don, par exemple une carte postale et 3 stickers à 75€.
Comment faire en sorte que les donateur·ices soient content·es de faire une bonne action et d’avoir un « retour » sur leur action ?
Elles ne recherchent pas forcément un retour.
Il faut gérer cet argent avec décence. C’est une matérialisation de la confiance donnée. Si Framasoft s’achète une Ferrari avec les dons, c’est indécent. Ça veut pas dire gérer au moindre trombone… Donnons-nous les moyens de faire les choses bien, mais restons décent·es.
Informez les personnes. « Tu as participé à un monde où l’on pourrait faire ça, voici ce qu’on a fait ». Ça ne veut pas dire que tu devras absolument remplir les objectifs que tu as fixés, parce que parfois ça peut échouer, mais toujours agir avec transparence et honnêteté.
Et transparence ne veut pas dire immédiateté, c’est important d’attendre d’être prêt·es avant d’annoncer un nouveau projet, de prendre le temps d’y réfléchir. Publier un « coucou, on veut faire ça, mais on ne sait pas encore comment », puis un second article pour dire « bon, maintenant on sait un peu plus comment », c’est épuisant.
Pour le palier « 100% » : devrait-il être au-dessus des montants que nous attendons pour espérer avoir le financement que l’on souhaite ?
Les années précédentes c’était plutôt en dessous, cette année ça sera peut-être un peu au-dessus − mais sans doute pas de beaucoup.
Cette année, on hésitait à définir le palier maximum à 175 000 € (ce qui nous suffirait) ou 200 000 €, on a choisi 200 000 € pour que ça soit le même montant que l’année précédente, ce qui nous permettra de comparer les années dans des conditions différentes, pour une campagne de communication de 7 semaines au lieu de 11.
Un financement de « départ » (qui monte la gauge à 20%+ dès le début) peut-il aider pour améliorer la perception que notre public peut avoir du financement participatif ?
Oui, mais ce n’est pas comme ça qu’il faut le faire.
C’est super intéressant, allez taper dans les FAQ de Ulule et autre : ils ont plein de conseils de marketing. Leur objectif c’est que tu récoltes du pognon. Du coup, c’est intéressant de voir leurs méthodes. Par contre, il faut faire le tri en fonction de ton éthique.
Cela dit, il y a quelque chose dont ils parlent que je trouve pertinent, c’est la question des trois cercles de ton public :
- le 1ᵉʳ cercle, ce sont les gens qui te connaissent, qui te soutiennent quoi qu’il arrive, que tu dois mobiliser pour que ta campagne ne commence pas à zéro euro : il faut les contacter directement (SMS, e-mail, coup de fil)…
- le 2ᵉ cercle, ce sont les gens qui te connaissent, qui ne te soutiennent pas forcément de manière inconditionnelle, qui pourraient être potentiellement intéressés : tu les atteins par ta propre communication et ton premier cercle.
- le 3ᵉ cercle, ce sont les gens qui vont te découvrir grâce à ce temps de communication. L’outil de campagne de crowdfunding va plus servir à te faire connaître auprès de ce cercle plutôt qu’à te faire financer. L’objectif n’est pas que ce troisième cercle te finance ou en tout cas, pas cette année.
Est-ce que vous faites jouer votre carnet d’adresses pour atteindre votre premier cercle lors de votre campagne annuelle ?
Le privilège de Framasoft, c’est qu’on n’en a pas besoin. On est devenus tellement gros qu’on a des Framafans qui nous suivent, qui vont chercher nos projets en préparation avant même qu’on les annonce… Mais on a 20 années d’existence.
Ça m’arrivait de faire ça en tant que romancier ou en tant que youtubeur, en contactant les gens qui me connaissaient, voire qui me suivaient à fond sur Twitter ou Facebook.
Questions diverses
Quelles seraient les erreurs classiques dans l’organisation d’un financement participatif selon toi ?
- Sous-estimer l’argent dont on a besoin et finir par bosser pour rien.
- Penser que les gens sont là pour acheter ce que tu fais, alors qu’ils sont là pour soutenir la cause, il faut leur donner ce rôle et respecter ça.
- Dire que je vais juste faire mes annonces et c’est tout. Il faut créer un évènement, une dynamique commune, il faut parler de ce qui se passe, il faut être là, il faut entretenir la relation, y consacrer du temps et de l’énergie.
- Dire « arrêtez de donner, c’est trop ». Imagine, tu as vécu un super spectacle, à la fin tu applaudis, c’était très beau, imagine l’artiste dit « arrêtez, ça suffit là ». C’est affreux. Si tu penses que ça commence à être trop, tu peux commencer à moins animer, retirer les bandeaux, mais continuer la campagne. L’autre possibilité, c’est de dire que c’est super cool, et d’inciter à donner ailleurs, et de décrire ce qui se passe avec les bonus.
Dans le milieu du crowdfunding capitaliste, il y a la technique qui consiste à mettre un palier 100% très bas (le quart ou la moitié de ce que tu voulais réellement), pour le remplir très vite (c’est l’objectif), et pouvoir faire une annonce « hey, on a obtenu 100% en une semaine ! » et créer une success story. Ça permet d’embarquer les gens dans les paliers bonus (125%, 150%…) et d’atteindre tes objectifs de financement par la suite, mais l’éthique de cette méthode est très discutable.
Un secret, une astuce qui pour toi serait la clef d’un financement participatif réussi ?
Toujours dans l’idée de donner un rôle : si c’est juste de cliquer sur un bouton pour faire un don, on a raté quelque chose.
Si on est là pour rendre le monde plus beau : on peut le faire déjà dans le crowdfunding, quoi. Ça peut être un tout petit truc, même un easter egg, je ne sais pas, un truc où tu cliques et ça fait pouet pouet, un jet de paillettes… Ça n’implique pas forcément de gros moyens.
Concernant le ton de la campagne…
C’est important de ne jamais être que dans la négativité si la campagne n’atteint pas dans ses objectifs, et de remercier ses donateur·ices. Si le message communiqué c’est « c’est pas suffisant et c’est angoissant », pensez aux donateur·ices qui vont se demander « euh, ce que j’ai donné, ça existe ou pas ? ». Le fait de commencer par « c’est super cool, merci ! Bon par contre on y est pas encore, on se serre un peu les fesses », ça peut être une manière de communiquer, mais il va falloir mettre des temps de communication.
On peut aussi dire : « c’est super cool, notamment si vous avez donné, merci, mais n’oubliez pas aussi d’en parler autour de vous, auprès de personnes pour lesquelles ce qu’on fait pourrait les intéresser spécifiquement ».
Comment donner un rôle aux personnes qui nous soutiennent ?
L’idée c’est que tu ne t’adresses pas à des vaches à lait. Quand tu fais ta communication, ne parle pas que de toi, de ton asso et de ce que tu fais. Parle du monde, comment est-ce qu’il sera plus mieux avec tes actions, et du rôle des personnes auxquelles tu t’adresses.
Les personnes très intéressées vont éplucher vos articles, et c’est possible de les inciter à contribuer (en parlant de nous). Il s’agit d’un public assez spécialiste qui peut contribuer de plein de manières différentes, pas que financièrement : parler aux bonnes personnes, faire tester nos outils, faire des retours…
On compte qu’il y a un ratio entre 1/1000 et 1/2000 de personnes qui contribuent financièrement, par rapport aux personnes qui utilisent nos outils. Si on réussit à expliquer aux gens qui donnent « grâce à ton don, il y aura aussi 999 autres personnes qui pourront utiliser nos services gratuitement », ça montre que ton don change des choses, que tu as un rôle avec ton argent, que tu n’es pas juste une vache à lait, que tu n’as pas juste craché de la thunes.
C’est important de montrer qu’il s’agit d’une aventure commune, de montrer que la personne a eu un vrai rôle.
D’autres choses à partager ?
Ça reste dans les règles générales déjà évoquées, mais il faut faire attention à se surveiller sur deux choses :
- Surveiller la déférence ou culpabilité dès qu’il y a de l’argent (et la pression que ça met sur les épaules), il ne faut pas en faire des caisses et se crâmer, qu’on te donne de l’argent ne te rend pas serviable à merci.
- Quand on commence à faire de la communication, le premier réflexe c’est d’expliquer : nous, on, moi je, et de justifier la réflexion au sein de l’association. Et c’est cool : c’est même un temps important. Cependant, ça n’intéresse pas tout le monde (ça se limite au 1ᵉʳ cercle, aux fans…). Souvent, c’est vachement plus intéressant de dire « voilà ce qui t’intéresserait à toi, voilà ce que ça va changer dans ton monde ».
Exemple: quand avec Framasoft on a fait une campagne sur Déframasoftisons Internet, j’ai écrit un premier article très mauvais : j’ai parlé uniquement de nous. C’était intéressant si tu t’intéresses à Framasoft, mais si on s’intéresse au reste, c’est chiant.
Dans le deuxième article, écrit 6 mois plus tard : 10 bonnes raisons de fermer certains services de Framasoft, en expliquant pourquoi, de l’œil d’une personne qui utilise des services. Quand tu t’adresses à des gens, parle-leur de ce qui va leur arriver à eux.