Le modèle économique que nous souhaitons
Constituer une équipe salariée sans lucrativité
La Contre-Voie est une association à but non lucratif : nous n’avons pas comme objectif de faire de l’argent. Comment une structure comme la nôtre peut-elle exister sous le capitalisme ?
Cet article présente comment nous souhaitons rendre l’association économiquement viable.
🔗Un peu de contexte…
Depuis 2019, nous organisons des activités de sensibilisation à l’éthique dans le numérique pour des publics néophytes. Nous avons débuté en tant qu’association étudiante sous le nom de « 42l », au sein de l’école 42Paris.
En juillet 2022, nous avons décidé d’étendre la portée de l’association pour poursuivre notre mission en intervenant dans d’autres établissements scolaires : en effet, même si nous sommes satisfait·es de ce que nous avions organisé jusqu’à présent, nous ne pouvons pas être étudiant·es à vie, et nous avons constaté que ce besoin de sensibiliser aux enjeux du numérique était tout aussi présent dans les autres établissements.
Nous avons donc entrepris de changer radicalement l’identité de l’association pour devenir « La Contre-Voie », en nous donnant l’objectif d’intervenir dans d’autres établissements d’éducation (publics ou privés) : les universités, les lycées, les collèges, mais également les tiers-lieux associatifs et lieux d’éducation populaire (MJC, médiathèques…).
À cette transformation s’ajoute une nouvelle contrainte majeure : pour que nos activités aient plus d’impact, et que nous ne nous contentions pas de « promouvoir la culture libre sur notre temps libre », nous souhaitons constituer une équipe salariée d’ici un à deux ans.
Nous avons donc besoin d’adapter notre modèle économique pour faire face à cette nouvelle situation.
Huit mois plus tard, voilà un premier bilan de notre réflexion.
🔗Les bénévoles de La Contre-Voie
2022 était la première année où nous expérimentions la valorisation du bénévolat jusqu’au bout : nous avons donc pris le temps de compter les heures bénévoles passées sur l’association et d’estimer leur valeur financière. Ce bilan nous sert à dresser un état des lieux de l’activité bénévole au sein de La Contre-Voie, mais également à justifier des demandes de subvention, ce qui pourrait nous être utile au cours de l’année.
L’un des premiers indicateurs que cette valorisation révèle, c’est le nombre d’heures bénévoles et sa répartition : nous avons comptabilisé 3 006 heures de bénévolat pour tout·es les contributeur·ices de l’association en 2022, dont 2 108 heures par une seule personne et 505 heures par une autre personne.
Ces 3 006 heures de travail bénévole sont estimées à un total de 83 048 euros : autrement dit, si ce temps de travail était justement rémunéré dans une entreprise, ce montant correspondrait a minima au budget réservé à la rémunération des salarié·es.
Retrouvez le détail de cette comptabilisation en annexe de notre rapport financier.
🔗Bénévoles à vie ?
Lorsque La Contre-Voie était encore une association étudiante, nous pouvions nous y consacrer pleinement de manière entièrement bénévole : nous ne subissions pas encore les impératifs du marché du travail et, pour la plupart d’entre nous, nous avions la chance de ne pas avoir à dépendre d’un travail à temps partiel à côté de nos études pour subsister financièrement.
Aujourd’hui, la situation est différente : si la plupart d’entre-nous souhaitent réserver leur contribution au Libre sur leur temps libre, certaines personnes aimeraient s’y consacrer à plein temps. Il faut pour cela s’en donner les moyens.
Quel modèle de financement souhaitons-nous ?
🔗Notre modèle actuel
Jusqu’à présent, selon notre rapport financier 2022, nous avions principalement trois sources de financement : la vente de tee-shirts (50 %), les cotisations de nos adhérent·es, qui bénéficient de nos services membres (21 %) et les dons de personnes physiques − vos dons ! (28 %).
En 2022, nous avions défini un budget prévisionnel à 2 360 euros et avons finalement collecté 3 466 euros, ce qui démontre que ce modèle fonctionne très bien grâce à votre soutien.
Mais il va de soi que si nous souhaitons rémunérer un·e salarié·e, nous n’allons pas pouvoir nous reposer sur la vente de tee-shirts : cela irait à l’encontre du principe de non-lucrativité de l’association et ça nécessiterait de vendre beaucoup (trop) de tee-shirts. Autant fonder une entreprise de tee-shirts à côté de nos activités associatives à ce stade…
Parmi d’autres dépenses, si nous comptons intervenir dans différents lieux (et ne pas nous contenter d’intégrer une école comme précédemment), cela engendrera une augmentation conséquente de nos frais de déplacement pour nous rendre sur les lieux, nous restaurer sur place et éventuellement dormir sur place si nous ne pouvons pas faire autrement.
Ainsi, alors qu’une simple intervention dans une école en tant qu’association étudiante ne nous coûtait rien, une intervention d’une personne dans un lieu éloigné pourrait nous coûter a minima 130 euros (80 euros l’aller-retour en TGV, 40 euros pour une nuit dans un hôtel et 10 euros pour un repas). Et c’est sans compter la rémunération des intervenant·es !
🔗Le mirage de l’équipe salariée
Intégrer un·e salarié·e à temps partiel nécessiterait un budget annuel minimal de 12 000 euros uniquement dédié à la rémunération (au SMIC et à temps partiel, estimation basse). Notre budget de 2022 s’élevait à moins de 2 400 euros, nous ne pouvons pas multiplier notre budget par 6 en un an.
Cette année, nous avons donc défini un nouveau budget annuel à hauteur de 4 800 euros, soit le double de l’année dernière, et espérons encore tripler ce budget l’année prochaine pour viser une première rémunération en 2024, voire fin 2023 si nous parvenons à trouver des financements d’ici là.
Le premier contrat sera sans doute relativement précaire et ne passera peut-être pas par un CDD ou CDI : il s’agira peut-être de contrats d’apprentissage ou de professionalisation, de stage rémunéré, d’alternance, de contrats aidés (s’ils existent encore), de postes partiellement subventionnés par des administrations publiques (FONJEP)… nous ne savons pas encore quelle forme cette rémunération prendra.
En tout cas, nous avons ce nouveau besoin de rémunérer le plus équitablement possible les personnes qui consacrent du temps au missions de l’association, ce qui implique de rechercher des sources de financement.
🔗Financer nos interventions
Notre objectif étant d’intervenir en milieu scolaire, plusieurs problèmes se présentent donc à nous : qui finance nos interventions ? Peuvent-elles être à prix libre ? Sinon, à quel montant ?
🔗Fixer un prix
Commençons par le plus difficile : le prix de l’intervention.
Une conférence de deux heures mobilise généralement une personne pour toute une demi-journée si l’on compte le temps de déplacement, de préparation le jour J. Mais elle aura également demandé des heures de travail en amont (préparation du contenu, des diapositives, faire de la veille sur le sujet présenté, actualisation régulière du contenu…).
Le SMIC horaire brut étant de 11.27 € en 2023, on peut donc partir sur un minimum de six heures soit 67.62 euros par personne. Si l’on compte le niveau de qualification (que nous valorisons arbitrairement à 3 fois le SMIC pour la tenue d’une conférence), le montant serait porté à 202.86 euros.
Cela signifie également que ce prix ne couvrirait pas le temps que notre salarié·e passe en dehors de cette intervention, mais nécessaire au fonctionnement de l’association (par exemple, la gestion des tâches administratives de l’association, le développement d’outils ou l’administration de services… oui, nous avons des profils multitâches !).
C’est également sans compter les frais de déplacement : s’il y a besoin d’un voyage en TGV, on peut facilement compter 80 euros supplémentaires. Pour hôtel, 40 euros de plus… On arrive vite à des montants très élevés.
Une chose est sûre : compte tenu de ces montants, choisir le prix libre pourrait avoir pour conséquence que La Contre-Voie soit dépensière sur ces activités, alors que nous recherchons l’inverse (qu’il s’agisse d’une source de financement).
Pour l’instant, depuis 2023, nous avons choisi de fixer un montant indicatif à 100 euros par intervention, en sachant que nous ne sommes pas (encore !) rémunéré·es. Nous demandons aux structures de faire en fonction de leurs moyens et de décider si ce montant leur semble juste et équitable, et nous nous laissons la liberté d’ajuster cette proposition de tarif en fonction de la structure qui nous invite.
🔗Par les subventions ?
Nous avons d’abord pensé à demander des subventions : après tout, si nous intervenons dans des établissements publics, nous pensons que ça a du sens de se faire financer par de l’argent public − dans le même esprit que la campagne Public Money, Public Code! de la FSFE.
Hélas, la route des subventions est longue et tortueuse : ces aides sont généralement distribuées sous forme d’appel à projets restreints à l’exercice d’une activité très précise qui ne correspond pas forcément à ce que nous organisons. Les organismes pouvant distribuer des subventions sont très variés (le FDVA, le FONJEP, les aides des collectivités et municipalités…), sans même parler du financement privé (les fondations…) ou des partenariats avec des établissements spécifiques (la CAF, Pôle Emploi…).
Certains de ces financements sont conditionnés à l’obtention d’agréments départementaux ou nationaux (ex.: Jeunesse Éducation Populaire) que nous sommes en voie de demander, mais qui vont prendre un certain temps avant d’être étudiés.
Enfin, la demande de toute subvention est conditionnée à la signature du Contrat d’Engagement Républicain, qui pose de sérieux problèmes démocratiques, mais que nous devrons signer sous la contrainte.
🔗Par les structures qui nous invitent ?
Cela aurait du sens de demander une paticipation financière aux établissements qui acceptent de nous recevoir ou qui nous sollicitent pour une intervention. Mais en pratique, ce n’est pas toujours possible.
Dans les établissements scolaires, nous ne connaissons pas (encore) de voie institutionnelle « officielle » qui encadrerait une demande d’intervention. Notre rencontre avec François Élie le 9 février dernier (président fondateur de l’ADULLACT et adjoint au maire d’Angoulême) nous a conforté dans ce constat.
De ce que nous avons entendu d’autres associations d’éducation populaire, cela passe essentiellement par des contacts au sein des établissements (professeur·es de technologie / ISN / SNT, associations étudiantes) plutôt que par le rectorat ou la direction.
De ce fait, les établissements n’ont pas nécessairement prévu un budget pour ce genre d’intervention, et il nous semble injuste de demander aux enseignant·es de payer de leur poche.
Dans le cas d’associations étudiantes, c’est très variable : cela dépend du budget annuel de l’association, si elle est aidée financièrement par son établissement et du montant que nous demandons.
Jusqu’à présent, en 2023, nous avons tenu une intervention à l’école CyTech (ex EISTI) à Pau, pour la conférence « Les enjeux d’Internet ». Nous étions invité·es par La Corpauration, association étudiante de CyTech (merci à elle !).
🔗Par les établissements privés ?
Dans les autres établissements, notamment dans les écoles 42 (Paris, Angoulême, Lyon…) c’est d’autant plus compliqué de faire payer notre intervention. Les GAFAM et autres géants qui interviennent dans ces établissements envoient des salarié·es pour intervenir dans les écoles, et n’ont donc pas besoin de demander une contribution financière des établissements. Parfois, c’est même l’inverse : l’entreprise va payer l’établissement pour se faire inviter !
Nous savons qu’il sera difficile de solliciter la contribution de ces établissements. Et pourtant, il s’agit d’un public particulièrement important à atteindre, car il s’y trouve des étudiant·es (notamment en informatique) en pleine formation professionnelle et sujet·tes avant tout de l’influence des géants du numérique. C’est dans l’objectif de l’association d’organiser des activités de contre-influence pour voir le numérique d’un autre angle que celui des GAFAM.
Mais est-ce juste de demander une contribution financière de la part des associations étudiantes et d’intervenir gratuitement dans ces établissements ? Non, ce n’est ni juste, ni économiquement viable. Nous devrons donc faire évoluer notre stratégie à terme.
🔗Par les dons ?
C’est le modèle choisi par certaines associations, dont Framasoft : mais leur échelle est absolument incomparable à la nôtre (c’est un canard OVNI ?!).
De plus, selon l’enquête que Framasoft a menée en 2022 pour connaître son public, il semblerait que l’écrasante majorité de ses contributeur·ices (82 %) demanderaient de prioriser l’entretien des services que Framasoft propose suite à sa campagne Dégooglisons Internet, bien plus que les actions de sensibilisation (35 %).
Or, les personnes qui nous connaissent en ligne ne bénéficient pas directement de nos interventions dans les écoles (malgré l’enregistrement de nos conférences sur PeerTube). Financeriez-vous des activités dont vous n’êtes pas directement bénéficiaires ?
Ou alors, cela signifierait qu’il faut élargir notre offre de services, donc passer plus de temps de travail sur les services (au détriment des activités de sensibilisation, parce que nous ne pouvons hélas pas encore nous dédoubler).
En décembre 2022, nous avons reçu un grand nombre de dons de votre part. Cela nous a donné la sensation que notre travail est apprécié et reconnu, et cela nous encourage à poursuivre notre démarche. Merci !!
Pour 2023, cela nous motive à essayer d’aller plus loin, notamment en réalisant des interventions dans des lieux où nous n’étions pas allés jusqu’à présent, malgré leur coût humain et financier.
🔗Nous avons besoin de temps
Les pistes sont nombreuses (et nous n’en avons évoqué que quelques-unes ici), mais elles ont toutes un point commun : elles sont de longue haleine, ont de grandes implications sur le budget de l’association (donc sa survie) et ne pourront pas se concrétiser du jour au lendemain.
Nous allons avoir besoin de temps pour réfléchir à tête reposée à la meilleure solution possible pour nous, pour ne pas entrer dans une logique lucrative (c’est un non catégorique) ni mettre l’association en danger. Nos fonds de réserve nous garantissent une petite sécurité, mais nous devons avancer prudemment.
En attendant, nous continuerons à multiplier nos activités de sensibilisation et maintenir nos services, dans la limite de l’énergie bénévole disponible.
Nous allons aussi prendre du temps pour faire une pause, même de courte durée, car nous avons déjà largement épuisé nos bénévoles en 2022 (voir la section sur les heures de bénévolat), et que même si le temps urge pour trouver des financements, nous parvenons difficilement à maintenir un rythme de croisière.
Nous avons également compris l’enjeu de développer un réseau, notamment pour trouver des lieux où tenir nos évènements. C’est la raison pour laquelle 2023 sera l’année où nous essayerons de participer à de nombreux rassemblements (plus que d’habitude) : le FOSDEM, les JDLL, Pas Sage en Seine, le CCCamp, le Camp CHATONS, le Capitole du Libre… Nous tâcherons de ne pas devenir « l’association des stands origami » pour autant, car le cœur de notre activité reste les activités de sensibilisation et l’hébergement de services libres.
À bientôt,
Neil pour La Contre-Voie